Apprendre une autre médecine, une autre façon d’exercer !

Laure, jeune médecin pédiatre, a exercé plusieurs mois sur l’hôpital de Kabinda. Voici le récit de son expérience.

« Fraichement diplômée en pédiatrie, nous raconte Laure, me voici disponible quelques mois avant de prendre mon poste à l’hôpital de Montpellier. Depuis de longues années, je rêve de partir « en mission humanitaire ». Une première expérience sénégalaise à la fin de ma 6ème année de médecine n’a fait qu’attiser ce désir.

Une amie me met en contact avec Sœur Claire, directrice de l’hôpital de Kabinda, qui accueille avec enthousiasme ma proposition de passer 3 mois en pédiatrie. Cela lui permettra d’assurer la continuité du service pendant les congés du médecin responsable.

Je m’envole donc pour la République Démocratique du Congo et, après un voyage mouvementé, j’atteins Kabinda. J’y découvre mon lieu de vie, la Communauté des Béatitudes, et mon lieu de travail, le service de pédiatrie, service le plus peuplé de cet hôpital, centre médical de référence d’une immense zone de santé.

A mon arrivée, plus d’une centaine d’enfants y sont accueillis dans une salle unique. La moitié souffre d’une maladie que je n’ai jamais rencontré en France, la malnutrition aiguë sévère. Les autres sont traités pour des pathologies diverses, souvent d’origine infectieuse : infections respiratoires, paludismes sévères, méningites et tant d’autres. Les possibilités thérapeutiques sont réelles puisque l’hôpital dispose de plusieurs antibiotiques, de matériel de perfusion, de traitement contre le paludisme, de transfusions… mais les moyens de diagnostic sont tellement faibles que je perds mes repères. J’apprends alors une autre médecine ! Comment, sans mes outils habituels et avec si peu de traitements prendre en charge ces enfants qui présentent des pathologies que je connais mal, s’interroge Laure ? »

Elle poursuit, « Progressivement, je prends mes marques. D’abord faire le point en arrivant sur les patients les plus graves qui restent dans le service, puis consulter le reste de la journée les autres qui vivent dans la cour de l’hôpital avec leur famille. Ici, ce sont les parents qui s’occupent entièrement de leur enfant : le nourrir et le laver bien sûr, se présenter à la consultation lorsque l’enfant est appelé au mégaphone, récupérer les traitements et les administrer, mais aussi surveiller l’enfant pour signaler tout signe d’aggravation. Si les parents ne se manifestent pas, il n’y a aucun moyen de suivre l’enfant, ni même de savoir s’il reçoit ses médicaments.

Chaque jour, de nouveaux patients affluent après plusieurs heures voire plusieurs jours de marche, parfois dans un état critique. La médecine traditionnelle, voir la sorcellerie, restent souvent le premier recours, ce qui peut entrainer un retard important, parfois fatal, à la prise en charge du malade.

Jamais comme ici, l’expression mourir de faim n’a autant pris son sens. En décembre, pic de « l’épidémie » de malnutrition, c’est tous les jours que j’entends les hurlements des mamans me signalant que leur enfant vient de mourir. Au milieu de cette détresse, de belles victoires se produisent malgré tout : une infection grave traitée, un enfant gravement dénutri qui retrouve le sourire, de quoi trouver l’énergie de continuer lorsque le découragement guette. J’apprends beaucoup mais certaines décisions pèsent et sont très dures à prendre : ai-je fait le bon choix de traitement concernant ce petit dont je ne m’explique pas l’aggravation de la maladie ? A quel enfant attribuer l’unique appareil à oxygène lorsque quatre en ont besoin ? Faut-il vraiment décongeler la dernière poche de la « banque de sang » pour ce patient si mal en point qui va probablement mourir alors que cela pourrait permettre d’en sauver un autre ? Faut-il continuer à prescrire toutes ces perfusions qui coûtent si cher et risquent de mettre en péril l’économie familiale alors que l’enfant va si mal ? Et si je ne le fais pas, ai-je vraiment donné à cet enfant toutes les chances de s’en sortir ?

Kabinda c’est enfin le lieu où l’on apprend à vivre à un autre rythme, où la notion d’urgence n’est pas celle que j’ai connue dans les hôpitaux français, où il faut accueillir nos différences culturelles pour permettre de se comprendre. Kabinda c’est surtout le lieu où l’on s’enrichit des échanges avec une équipe d’infirmières, de médecins mais aussi avec les membres de la Communauté des Béatitudes qui se donnent chaque jour pour que cet hôpital continue à offrir des soins de qualité à une population qui en a désespérément besoin. »

Récit extrait de l’ouvrage

Pour l’amour de la vie -Fioretti de présences humanitaires par Jean-Claude Michel, publié aux  Editions des Béatitudes au profit d’AAI
http://www.editions-beatitudes.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=875

L’ouvrage est disponible dans les librairies religieuses de Belgique et sur des sites de vente en ligne. Voyez plus de détails en tête de page.